Les deux Reines de la Nuit des Morts
L'automne battait son plein au pays des Il Etait une Fois. Le Roi veuf était las d’Astrid, sa fille unique, car celle-ci repoussait tous ses prétendants les uns après les autres. Il fallait pourtant la marier, car le Royaume allait mal et seule une union tactique pouvait le sauver. En fait de Royaume, il s’agissait du plus petit et du plus médiocre de tous, « Tellement médiocre » disait le Roi « que l’on m’a fichu en guise de fille unique la plus difficile et la plus têtue des jeunes femmes, sans même me laisser le luxe d’un second rejeton pour sauver la mise ». Et suite à cela, il soupirait, car il regrettait beaucoup sa défunte épouse et aimait tendrement sa fille malgré tout. Il était presque aussi malheureux qu’elle de la nécessité de devoir la marier. A chaque fois que le Roi abordait la question devant Astrid, cette dernière lui répondait « Père, j’épouserai la personne dont je verrai l’âme avant les artifices. » Et comme si cela concluait l’affaire, Astrid repartait dans la cour de leur vieux château fatigué pour s’y amuser à combattre tout et n’importe quoi : les murs, les talus, les abreuvoirs à chevaux et les gardes qui osaient encore s’aventurer par là. Ces derniers étaient presque tous aussi âgés et usés que le château et la perspective de se faire assaillir par une jeune Princesse agile et débordante de vigueur ne les réjouissait guère, aussi préféraient-ils éviter son périmètre autant que faire se pourrait.
On apprit que le Monarque du Royaume voisin cherchait depuis peu à donner la main de son premier enfant dont on avait jusqu’alors ignoré l’existence. Sa fille avait épousé le Roi d’une contrée très lointaine et était partie s’y installer, laissant son père seul dans son magnifique Royaume. Cela n’avait étonné personne car l’homme était réputé pour être extrêmement mauvais et cruel. La surprise fut en revanche de taille lorsqu’il annonça qu’il lui restait un enfant à marier. Le Royaume était certes fort grand, fort beau et fort riche, mais l’idée d’épouser un Prince dont nul n’avait jamais entendu parler découragea beaucoup les prétendantes. On n’avait, de plus, guère coutume d’aller présenter sa fille à un Prince qui n’avait jamais accompli quelque exploit que ce fut et le détail qui survint bientôt, révélant que le premier enfant du Roi était en réalité victime d’un sortilège, n’arrangea rien à l’affaire. En ces temps-là, il y avait bien trop de beaux Royaumes, de Princes valeureux et de Princesses charmantes pour que l’on tienne à se compliquer l’existence avec un Prince mal assumé et de surcroît maudit.
Cent. C’est lorsque le manège de prétendants repoussés par sa fille atteignit ce nombre que le Roi du médiocre Royaume se décida à prendre des mesures radicales.
« Ma fille, tu vas partir pour le Royaume voisin et demander la main du Prince. » dit-il à sa fille, en regardant son centième soupirant passer la grande porte avec un air froissé. « Je ne veux pas épouser de Prince, père. Je reste à vos côtés. » répondit Astrid, résolue. « Non ma fille, ce n’était pas une suggestion, mais un ordre. Tu vas aller demander la main du Prince du Royaume voisin, car je te chasse du nôtre et tu ne pourras revenir que lorsque tu seras mariée. Tu sais te débrouiller avec une épée, tu n’es pas douillette, tu es belle et maligne, je n’ai donc pas le moindre scrupule à te pousser dehors. »
...Mais le Roi n’en menait pas large. A peine eut-elle passé la porte qu’il s’élança à sa suite pour la rappeler, mais elle avait déjà disparu dans le brouillard d’Octobre. Il la pleura de toutes les larmes de son corps et se maudit pour son action.
Astrid quant à elle cessa bientôt de pleurer : en réalité, elle était enchantée de cette occasion de voyager dans le Monde et la tristesse d’avoir quitté son père bien aimé se transforma vite en excitation. Elle parcourut landes et forêts, prenant autant de détours que possible sur le chemin qui devrait à terme la mener au château du Royaume voisin. En chemin, elle rencontra beaucoup de personnes qui la mirent en garde contre sa destination. « Le château est maudit et hanté et le Roi est cruel. Fuyez au bout du monde, ce serait un sort préférable à celui de mettre un seul pied dans cet endroit ! » Mais Astrid n’avait pas peur du tout. Elle ignora les mises en garde et arriva enfin, après plus de trois semaines de voyage, aux abords du château que l’on disait maudit. Elle fut forcée d’admettre malgré elle que l’endroit n’était guère accueillant. Malgré l’éclat froid du soleil de midi, le terrain qui l’attendait derrière les hautes grilles n’inspirait pas confiance. Elle les passa néanmoins et s’engagea sur une allée centrale qui traversait un lugubre cimetière, un bois sombre et un jardin mal entretenu. Elle arriva enfin aux portes de la grande bâtisse. Le Roi y était seul, enveloppé d’un grand manteau de velours, plongé dans un livre, assis devant une cheminée si large que l’on aurait pu y rôtir trois bœufs, le bouvier et toute sa famille. Lorsqu’il vit Astrid, il posa son livre, sur la couverture duquel elle put lire qu’il s’agissait d’un ouvrage enseignant l’art de la torture en extrême-Orient.
« Qui êtes-vous et pour quelle raison me dérangez-vous dans ma lecture récréative ? »
« Je suis Astrid, fille du Roi du Royaume voisin et je viens vous demander la main de votre aîné. » répondit Astrid qui faisait de son mieux pour garder les yeux dans ceux de son hôte qui la mettaient pourtant fort mal à l’aise.
« Vous n’avez pas ce qu’il faut pour épouser mon premier enfant. »
Astrid allait protester, mais le Roi reprit « Cependant, si vous me dites que vous connaissez un moyen de libérer ma progéniture de sa malédiction, je vous donnerais volontiers une récompense assez grasse pour remettre à flot l’économie du minable Royaume de votre minable père. » A ces mots, Astrid dut se retenir pour ne pas sortir son épée de son fourreau et sauter à la gorge du Roi. Elle déglutit péniblement et reprit son calme avant de dire « Très bien, je libérerai votre rejeton de sa malédiction. Que faut-il faire ? »
Le Roi s’enfonça dans son énorme fauteuil et reprit la parole : « Il y a vingt-deux ans de cela, un mage avec lequel j’avais eu une querelle m’a jeté un sort. Mon premier enfant serait transformé en citrouille et je ne pourrais le ramener à la vie qu’à la condition qu’une personne au cœur vaillant et pur trouve le moyen de donner une âme à la citrouille en question. Ma sotte d’épouse a succombé au chagrin, mais comme elle avait eu le temps de me donner un deuxième enfant, je me suis dit que cela suffirait bien à assurer ma succession. Mais malheureusement, mon ingrate de fille est partie s’installer chez son Prince Charmant et je me suis récemment retrouvé seul et dans un beau pétrin. Heureusement en somme que j’ai cette citrouille en stock. Malheureusement, je l’ai laissée dans le jardin parmi ses semblables et je serais bien en peine d’y reconnaître mon enfant, a fortiori de lui redonner une âme. Voilà votre mission. Maintenant, laissez moi vaquer à mes occupations et ne remettez le pied dans le château qu’avec la solution à mon petit problème. » Le Roi chassa Astrid qui se retrouva dans le jardin en friche. Elle dut une fois de plus se contrôler pour ne pas retourner sur-le-champ au château et étrangler le Roi, mais son attention fut captée par un potager, non loin de là où elle se trouvait, qui grouillait de centaines de citrouilles de toutes tailles.
Astrid passa les heures qui suivirent à examiner toutes les citrouilles dans l’espoir d’en trouver une qui aurait des allures cachées de Prince, mais elle finit par s’asseoir, bredouille et découragée sur un petit muret, tandis que la nuit tombait. La lune apparaissait tout juste dans le ciel, lorsque Astrid fut tirée de son marasme par une étrange nappe de brumes. Elle comprit vite qu’il s’agissait d’un spectre car ce dernier se donnait bien du mal pour l’effrayer en se mouvant autour des citrouilles du potager. « Fantôme ? » l’interpella Astrid « tu ne me fais pas peur tu sais. » A sa grande surprise, le Fantôme répondit : « Ah ! Je le sais bien : je ne fais peur à personne. Mais c’est à cause de mon apparence ! Qui serait effrayé par un pauvre petit nuage informe... Ah si seulement j’avais un corps... Avec un corps, je ne serais pas obligé de rester ici, et je pourrais partir à la recherche de ce que j’ai perdu de mon vivant ! Je ne me souviens de rien d’autre de ma vie d’avant, que cela : je cherche quelque chose, sans savoir quoi, et cette pensée me hante en permanence. C’est pour cela que je reste dans ce potager. M’aiderais-tu, toi qui n’as peur de rien ? »
Astrid, toute étonnée par l’étrange proposition, réfléchit un instant et répondit enfin : « D'accord, Fantôme, je veux bien t'aider, mais en contrepartie, j'aimerais bien que tu me rendes service à ton tour, un peu plus tard. J'aurai besoin de toute l'aide possible pour trouver ce que je cherche et résoudre mon problème, et comme il va s'agir tôt ou tard d'âme, tu es sans doute le mieux placé pour me rendre service. »
« Marché conclu » répondit le Fantôme. « Si tu souhaites obtenir davantage d'aide, je connais deux autres personnes qui pourraient te prêter main forte. Tu trouveras la première dans la forêt, et l'autre dans le cimetière. Je t'attendrai ici: de toutes façons je ne peux pas quitter le potager ».
Astrid partit en direction de la petite forêt qu'elle avait traversée un peu plus tôt. Maintenant que la nuit était tombée, elle ne voyait pas à un mètre devant elle, mais elle s'engouffra néanmoins entre les arbres peu accueillants. Astrid marcha à tâtons pendant quelques instants, se prenant les pieds dans quelques racines saillantes. Elle trébucha enfin et se retrouva le visage dans l'humus. Elle entendit pester derrière elle. « Faites attention la petite dame! Ce n'est pas parce que je suis mort qu'il faut me marcher dessus! Regardez ce que vous m'avez fait: j'ai perdu un morceau de pied à cause de vous! » Astrid se releva et secoua ses vêtements pour en faire tomber les feuilles mortes, à côté d'elle se trouvait un homme à vêtu de haillons. Ses joues étaient fort creusées, l'une d'entre elles, Astrid s'en rendit compte en essayant de dissimuler sa répulsion, était même entièrement déchirée et laissait apparaître une rangée de dents ébréchées comme les rebords d'une vieille porcelaine. Elle regarda ses pieds, l'un était déchaussé. A mieux y regarder, il n'avait plus de pied du tout: ce dernier gisait dans les feuilles mortes, à un mètre de la jambe à laquelle il appartenait.
« Qui êtes vous? » demanda-t-elle, contenant son effroi du mieux qu'elle le pouvait.
« Un vieil ennemi du Roi, il m'a empoisonné et privé de sépulture, et me voilà condamné à hanter ces bois, contraint de supporter le bruit du vent et de ces fichus oiseaux, avec un corps en charpie. Je me cache souvent sous la terre, mais comme les vers m'ont dit qu'ils vous avaient vue passer tantôt, je me suis dit que ce serait une bonne occasion de m'amuser un peu. Vous pourriez d'ailleurs au moins avoir la décence d'avoir peur de moi. Un petit cri d'effroi n'est pas pour me déplaire, ça change des gazouillis. Enfin bref... Et vous, qu'est-ce que vous faites ici? »
« Je suis Astrid, je cherche un moyen de libérer l'enfant du Roi de sa malédiction, mais je ne sais pas comment m'y prendre. Je suis désolée de ne pas avoir crié, mais je n'ai pas peur de vous et je ne suis pas sûre qu'un cri feint vous réconforterait. »
« Bah, ce n'est pas grave: de toutes manières c'est le silence que je désire par dessus tout. Et éventuellement un linceul décent pour maintenir tous mes membres ensemble et me redonner un peu d'allure. Si vous m'aidez à trouver cela, je vous aiderai à mon tour dans la mesure de mes moyens. Je ne sais pas trop à quoi je pourrais servir, mais je connais bien les terres qui entourent le château. Littéralement, le dessus comme le dessous des terres. Marché conclu? »
« D'accord » répondit la jeune Princesse, mais d'abord, je dois trouver encore un peu d'aide dans les environs. On m'a dit que je trouverais quelqu’un dans le cimetière? »
« Ah le cimetière! Quel paradis! » Et le mort-vivant s'assit en soupirant contre un arbre, puis tenta de rattacher le pied à son tibia décharné.
Astrid regagna le chemin et longea le bois jusqu'au cimetière. Elle marcha un long moment entre les tombes austères, sans voir personne. La lune était à son zénith dans le ciel clair, mais ses rayons ne suffisaient pas à lui faire discerner qui que ce fut. Désespérée, elle s'assit sur une des tombes et replongea dans ses pensées, espérant sans succès y trouver la solution à son problème. Elle sentit la tombe trembler sous elle.
« Hum, hum, pardonnez-moi? » entendit-elle. La voix venait de la tombe. Elle se releva vivement, juste à temps pour voir la pierre tombale sur laquelle elle s'était assise glisser sur le côté. Un cercueil se nichait au fond de l'ouverture. Le couvercle se souleva et un homme élégamment vêtu en sortit. Il s'épousseta et la regarda « Trouveriez-vous importun que je vous demande qui vous êtes, Mademoiselle? » Estomaquée, Astrid répondit après avoir retrouvé son souffle « Non, pas du tout Monsieur. Je suis Astrid, fille du Roi du Royaume voisin, et... » « Du sang bleu! Enfin! » S'écria le Vampire. « Je suis tout à fait navré Mademoiselle, mais je vais être contraint de vous mordre. » ajouta-t-il, l’air visiblement contrarié. « Et pourquoi donc? » Demanda Astrid tout en reculant imperceptiblement. « Ah Mademoiselle, je suis un Vampire malheureux. Je n'ai guère le goût du meurtre, mais je dois me nourrir, et mon appétit ne cessera de croître tant que je n'aurai pas bu une quantité de sang royal qui, je le crains, apportera la mort à la personne sur laquelle je le prélèverai. » Il s'assit sur le bord de son cercueil, dans un grand abattement. « Je m’isole des Hommes en gardant le périmètre de ma tombe, de peur de leur faire du mal, mais je suis un Vampire. Je grignote ce que je peux, mais les rongeurs viennent à manquer et ne font qu’accroître mon besoin de sang. Le pire dans tout cela, c'est que même si je devais vous mordre, ma culpabilité me suivrait dans l'éternité, et cette éternité est remplie de tant d’ennui que je préférerais presque que l’on me plante un pieu dans le cœur immédiatement plutôt que devoir la subir. » Il soupirait abondamment. Astrid hésitait à partir en courant, mais elle fut prise de pitié et posa la main sur l'épaule du Vampire triste. « Mon ami, je voudrais vous aider autrement qu'en vous donnant mon sang, mais je le ferai volontiers s’il le faut, à la condition que vous m'aidiez à libérer l'enfant du Roi qui est prisonnier d'un sortilège. Si je le libère, je devrai l'épouser et je n'ai pas du tout envie de cela. Je préfère mourir en vous rendant service plutôt que de subir le mariage avec un Prince. Toutefois, son père est si mauvais et son sort est si terrible que j'ai tout de même envie de lui porter secours. Si vous m'aidez à trouver un moyen de le libérer, je vous laisserai boire mon sang sans résistance. Qu’en dites-vous? »
Le Vampire se leva et s'inclina respectueusement devant Astrid. « Ce sera un honneur que de boire le sang d'une jeune Princesse aussi généreuse, noble et pure que vous. Je vous aiderai, vous avez ma parole d'Immortel. »
« Alors nous devons aller au jardin ensemble, et passer par la forêt sur le chemin, il y a d'autres personnes que j'ai promis d'aider et je crois qu'à nous quatre nous pourrons trouver une solution pour le Prince du Royaume. »
Ils se mirent tout deux en route. Le Mort-vivant attendait Astrid à l'orée de la forêt et se joignit au cortège. Ensemble, ils arrivèrent dans le potager où ils retrouvèrent le fantôme.
« Mort-vivant » dit Astrid, « toi qui connais la terre, dessus et dessous, tu as pour mission de trouver une citrouille enchantée qui aurait été plantée ici il y a vingt-deux ans. Le fantôme t'aidera. »
Le Mort-vivant acquiesça avec enthousiasme et sa tête manqua de se détacher. Il plongea sous le sol en laissant derrière lui une de ses mains. Il ne fut pas long à dénicher la citrouille en question. Tenant la citrouille enchantée sous le bras, Astrid alla s'asseoir sur le muret qui ceignait le château et avec l'aide du Fantôme, du Vampire et du Mort-vivant, elle se mit à réfléchir sur le moyen de lui donner une âme.
Ils restèrent tous les quatre en silence pendant une longue heure sans trouver la moindre solution. Minuit sonna à l'église du village voisin.
« C'est la nuit de la Fête des Morts! » s'écrièrent les trois défunts en même temps. Astrid les regarda sans comprendre.
« C'est la nuit de la Fête des Morts. » répéta le fantôme. « Et comment donne-t-on une âme à une citrouille lors de la Fête des Morts?! »
Astrid se leva d'un bond. « Mais bien sûr! » Elle plongea la main dans son sac de voyage et en sortit un petit couteau, à l'aide duquel elle commença à creuser la citrouille. Pendant qu'elle s'affairait, le Mort-vivant l'encourageait en frappant sa jambe en rythme de la main qui lui restait et le Vampire faisait les cent pas autour du château. « Une bibliothèque! » soupira-t-il en regardant par une des fenêtres. « Une éternité ne serait plus si ennuyeuse si j'avais tant de livres à lire », puis il reprit ses allées et venues.
Une fois que la citrouille fut creusée, Astrid sortit une bougie de son sac, qu'elle plaça à l'intérieur et qu’elle alluma. Le résultat était fort beau : la citrouille semblait ainsi avoir une âme. « Maintenant, il faut attendre et prier pour que la magie opère. » dit le Fantôme.
Le Roi, qui avait observé la scène depuis le château et n'avait pas du tout l'intention d'honorer son marché en couvrant la jeune Princesse d'or se précipita hors du château avec un couteau à la main. Il se jeta sur Astrid comme un loup enragé.
Mais le Vampire l'avait vu et sauta sur lui avant qu'il n'ait le temps de poignarder la jeune femme. Il planta ses canines dans son cou et se mit à boire avec fureur.
Quelques instants plus tard, le Roi gisait sans vie devant son château, Astrid avait le coeur qui battait la chamade, mais ce n'était pas parce qu'elle avait tout juste échappé à la mort: devant elle, à l'endroit où se trouvait un instant auparavant la citrouille enchantée se trouvait une jeune femme d'une beauté incroyable, étendue dans un paisible sommeil parmi les légumes. Le premier né du roi, contrairement à ce que tous avaient cru n’était pas un homme !
« J'ai eu ma dose de sang bleu! » s'exclamait le Vampire, transi de bonheur, interrompant le silence médusé qui régnait « Je n'aurai plus jamais soif de sang! » et il bondissait en tous sens, étreignant tour à tour Astrid et le Mort-vivant, qui perdit un bras dans la ferveur du geste.
Astrid se remit peu à peu de son émotion et se mit à réfléchir intensément. Puis elle s'adressa au Fantôme: « Fantôme? Si vous vous réincarniez dans le corps du Roi, accepteriez-vous de donner son manteau au Mort-Vivant et une des chambres du château au Vampire que voilà? » « Bien sûr! » répondit immédiatement le fantôme. « Monsieur le Vampire, » poursuivit Astrid « consentiriez-vous à laisser votre tombe au Mort-vivant si vous aviez la possibilité de vivre au château? » « Quel bonheur ce serait! Je troque volontiers ma tombe contre l'accès à la bibliothèque! »
« Alors Fantôme, vous pouvez prendre le corps du Roi » conclut Astrid. Et la masse vaporeuse flotta autour du corps du Roi, puis y pénétra par une narine. Le Roi revint à la vie: « Astrid » dit-il dans un petit filet de voix « je me souviens de tout! J'étais le Fantôme de la Reine! J'errais dans le potager parce que la malédiction qui m'a enlevé ma fille l'y avait mise! Je ne saurais jamais assez te remercier! Mon terrible époux t'avait promis des richesses que j'ai bien l'intention de te donner, mais si je peux faire quoi que ce soit d’autre pour te contenter, nomme-le et tu l'auras. »
Astrid rougit, mais ne dit rien. Le Vampire demanda sa bénédiction au Roi-Reine avant de partir en courant vers le château. Le Mort-vivant demanda à son tour le droit de récupérer le manteau de velours qui serait désormais son confortable linceul et après avoir remercié Astrid, il se mit en route vers le cimetière, tout guilleret.
Astrid resta assise sur le muret et retourna à sa contemplation de la jeune princesse. Le Roi-Reine s'assit à côté d'elle et prit la parole: « Le Roi a dû te dire qu'un mage avait ensorcelé notre fille, mais il n'en est rien. La vérité, c'est que c'est mon monstrueux époux qui a ensorcelé notre première née, parce qu'un mage doué de voyance lui avait annoncé qu'elle ne voudrait d'aucun Prince et qu'elle épouserait une Princesse si on ne l’en empêchait pas. »
Astrid resta silencieuse et rougit de plus belle. La jeune princesse s'était réveillée et regardait tour à tour le Roi-Reine et Astrid, puis elle prit enfin la parole. « Mère, est-ce vous? » demanda-t-elle. Le Roi-Reine hocha la tête. La jeune femme se jeta dans les bras de sa mère en pleurant, puis elle se tourna vers Astrid « Est-ce vous qui m'avez libérée de mon sortilège? » Astrid baissa les yeux et sentit deux bras se refermer autour d'elle. Deux bras supplémentaires s'y ajoutèrent. C'était la Reine qui s'était jointe à l'étreinte.
Toutes trois restèrent ainsi de longues minutes, puis le Roi-Reine interrompit le silence en disant « Astrid, si toi et ma fille le souhaitez, tu peux rester avec nous quelques temps. Je sais que tu n'avais pas l'intention de rester lorsque tu es arrivée ici, mais nous allons avoir du travail pour remettre le Royaume sur pieds et une aide supplémentaire ne sera pas de trop. »
Quelques semaines plus tard, le grand Royaume et le petit Royaume médiocre se réunirent pour le plus grand bonheur de tous. Le père d’Astrid avait été appelé à rejoindre sa fille et était désormais installé au château où lui et le Roi-Reine se découvrirent beaucoup de choses en commun. Quant à leurs filles, placées sous la garde bienveillante d’un Vampire érudit, aucune des deux n'eut jamais à épouser de Prince pour devenir Reine...
FIN
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